Mercredi 8 mai 2024

Pourquoi se plaindre ?

    Que nos plaintes sont injustes contre ceux qui nous anéantissent ! Et que nos inquiétudes sont déraisonnables sur ce qu’on nous méprise ! Il faudrait s’inquiéter de n’être pas assez méprisés ; et cela serait, si nous avions le cœur entièrement chrétien. Il est vrai que c’est la grâce qui donne de telles inclinations, la nature en donne de contraires ; et mon malheur est, que même en écrivant ceci, je manquerais à mon dessein, si j’en avais l’occasion : car je ne vaux rien du tout, et je croirais que tout ce que j’ai dit ou fait sous l’apparence de bien, n’est qu’une hypocrisie ; témoin mes rechutes continuelles, qui me font voir combien je suis pauvre et abject, et combien je mérite de mépris.

    Les corrections et les réprimandes qu’on nous fait, ne sont jamais pleines d’exagérations, quand même de très grands ennemis nous les feraient ; au contraire, elles sont toujours au-dessous de notre corruption, qui est si profonde, que toutes les créatures ne la peuvent connaître, mais Dieu seul. Oh qu’il y a d’aveuglement à se plaindre ! C’est la vérité qu’il ne se faut jamais plaindre, quelque mal qu’on nous fasse, quelque injure qu’on nous dise ; l’on nous fait et l’on nous dit toujours moins que nous ne méritons. C’est l’ordre du christianisme, et la vérité toute pure, qu’il faut aimer l’abjection, Jésus l’ayant aimée par l’ordre de son Père, qui nous le propose pour exemple.

Jean de Bernières-Louvigny (1602-1659), Le Chrétien intérieur I, 1 et 15-16

MÉDITER :

Ceux qui nous méprisent nous rendent un grand service : ils nous rappellent que nous ne sommes rien par nous-mêmes. Au lieu de leur en vouloir, remercions-les, au moins intérieurement : ils nous font gagner un temps précieux, et nous permettent de pratiquer l’humilité, sans laquelle aucune vertu n’est réelle.

    Facile à dire ! Pourquoi tant de résistances à une chose aussi simple ? Parce que l’orgueil est la racine de tous les maux. Si nous acceptions de n’être rien, et que Dieu soit tout, notre rien deviendrait tout, et tous nos malheurs disparaîtraient.

    Au fond, nous n’avons jamais aucune vraie raison de nous plaindre. Jésus ne s’est jamais plaint.

L´Auteur :

Bernières-Louvigny (Jean de, 1602-1659)

Fils d’un trésorier général de Caen, Jean de Bernières-Louvigny consacrera sa fortune et ses relations à l’animation du groupe mystique normand né autour du capucin Jean-Chrysostome de Saint-Lô, tout en assurant l’intendance de nombreuses entreprises missionnaires, et en fondant séminaires et hôpitaux à partir de son ermitage ouvert à ses nombreux amis contemplatifs. À travers son disciple Jacques Bertot, son influence marquera profondément le cercle de Madame Guyon. Ses écrits, connus à travers des transcriptions incertaines, notamment sous le titre du Chrétien intérieur, seront d’ailleurs englobés dans les condamnations du Quiétisme de la fin du siècle, sans pour autant qu’il y ait lieu de se méfier de leur orthodoxie.